Le débat actuel sur la place de la langue dans le système éducatif algérien est très riche, le Pr Zellal a signé deux articles où elle a abordé les neurosciences et leur place dans l’apprentissage. Afin de se projeter sur l’avenir, j’aborde dans cet article les nouvelles techniques pour faciliter l’apprentissage scolaire. L’évolution des neurosciences a donné une nouvelle impulsion à plusieurs domaines, y compris l’apprentissage.
Les neurosciences désignent l’étude scientifique du système nerveux et du fonctionnement du cerveau, depuis le niveau moléculaire jusqu’au niveau comportemental. Les progrès des neurosciences nous ont permis de mieux concevoir les fonctionnement des mémoires et les mécanismes de mémorisation, qui ont des implications déterminantes dans le domaine de l’apprentissage scolaire ou professionnelle, ou tout simplement dans l’apprentissage de la vie quotidienne. C’est ainsi que nous assistons à la naissance de la neuroéducation, qui est la science de l’apprentissage, elle est l’association entre les neurosciences et les sciences de l’éducation.
Les enseignants contribuent directement ou indirectement dans la transmission de l’information et ils la rendent accessible à chaque élève. Une telle mission devrait s’accompagner par une formation solide des enseignants. Nous essayons à travers cet article d’attirer l’attention des concernés sur l’importance de l’enseignement des nouvelles techniques pédagogiques, en respectant le rythme de l’évolution de chaque élève, qui est, au premier abord, un enfant.
Pourquoi faut-il former les enseignants ?
La croyance la plus répondue est que l’enseignement est une vocation ou une mission, imprégnée par un mythe sacro-divin, et qui a traversé plusieurs siècles, il s’agit de comparer l’enseignant au « messager ». Cependant, l’enseignement dans la pensée post-moderne est un métier, qui a ses propres règles pédagogiques et ses institutions de formation spécifiques. La représentation de l’enseignant dans l’imaginaire populaire reste attachée à l’image de la sacralité. Bien que l’école soit représentée comme le lieu d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, en outre, elle permet une ascension sociale.
P. Pelpel résume quatre préjugés entravant le développement d’une véritable formation professionnelle des enseignants. Ils contribuent, pour leur part, à la stagnation des pratiques et à ce que l’on appelle parfois « le malaise des enseignants ». Ces quatre préjugés sont les suivants :
– le premier consiste à croire que la pédagogie n’est que le masque de l’ignorance ; ou encore que l’acquisition du savoir engendre sa propre pédagogie. La compétence sur le sujet serait la condition nécessaire et suffisante pour en assurer la transmission ;
– dans le second cas, la pédagogie n’est qu’un artifice pour amuser les enfants, qui ne se justifie que par l’inconsistance de leur attention. Cet artifice cesse d’être nécessaire, dès lors qu’il s’agit d’enseigner, c’est-à-dire de transmettre des connaissances : ce n’est plus alors qu’une perte de temps inutile ;
– le troisième préjugé admet que la pédagogie, conçue comme « l’art d’enseigner », peut parfois être utile ; elle ne saurait pour autant faire l’objet d’un apprentissage. Cela ne s’apprend pas : on est pédagogue, si on naît pédagogue. Hors de cela, point de salut, et chacun de citer son maître inoubliable qui, de notoriété publique, n’a jamais reçu de formation spécifique.
Enfin, si certains esprits téméraires conçoivent que la pratique de l’enseignement peut faire l’objet d’un apprentissage, ils considèrent le plus souvent que cet apprentissage ne peut résulter que de l’expérience : soit celle que chacun acquiert personnellement ; soit celle des autres, à laquelle on peut se référer comme modèle. La conclusion qui résulte de ces quatre préjugés, c’est qu’il n’existe ni savoir ni savoir-faire formalisables qui puissent aider un enseignant à enseigner. D’où une formation essentiellement scientifique dont les temps forts sont constitués par des stages qui ont à la fois pour but d’acquérir une expérience, de tenter de bénéficier de celle des autres et de s’adapter à l’évolution des missions de l’enseignement qui n’est plus réduit à la tâche de transmission, mais à l’accompagnement de l’élève dans sa recherche de l’information, en respectant des technicités pédagogiques spécifiques à chacun. Néanmoins, il ne s’agit pas pour nous de montrer que la compétence dans le contenu est inessentielle, que l’expérience ne sert à rien ni à personne, ou encore que les qualités personnelles ne jouent aucun rôle dans la réussite d’une pédagogie. Mais il faut que les enseignants prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls, ni impuissants par rapport aux problèmes qu’ils rencontrent dans leur pratique pédagogique quotidienne. On en sait plus aujourd’hui qu’hier sur le fonctionnement des groupes, sur le fonctionnement du cerveau, sur les mécanismes de mémorisation et les troubles d’apprentissage, sur les différentes manières d’organiser une pratique d’enseignement et de l’évaluer, et sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information. Des ressources humaines et matérielles existent permettant aux enseignants de se former et de se perfectionner dans de bonnes conditions.
La neuropédagogie peut-elle redynamiser la pratique pédagogique ?
Les plus grands spécialistes du cerveau sont les enseignants (à leur insu !). Ce sont eux qui le façonnent, le nourrissent, l’enrichissent. Ils interviennent directement sur son évolution, favorisant le développement des neurones (la neurogénèse) et contribuant à la synaptogénèse (processus de production en grande quantité des synapses, à savoir des connexions neuronales).
Ils utilisent, pour cela, des approches quasi scientifiques : ils tâtonnent, expérimentent, formulent des hypothèses, modifient la démarche, adoptent différentes pédagogies, tentent le numérique, etc. La neuropédagogie, comme nous l’avons souligné plus haut, peut faire le lien entre la fonction du cerveau et la manière dont il traite une information, en respectant sa neurogénèse et les objectifs pédagogiques à atteindre. Les neurosciences ne sont, certes, pas une méthode d’apprentissage, mais elle permettent d’appréhender le fonctionnement de notre mémoire et les mécanismes de mémorisation. Ainsi, avec leur implication dans les troubles d’apprentissage, comme les troubles attentionnels (renvoi à la concentration), l’impact de nos émotions sur l’apprentissage (exemple l’impact du stress sur l’apprentissage), elles montrent comment optimiser par des pratiques d’enseignement adaptées et par la formation des enseignants et des élèves à la métacognition (la compréhension de l’acte d’apprendre).
Des projets pilotes existent pour savoir quel est l’impact de l’utilisation de la neuropédagogie sur l’apprentissage et les résultats sont encourageants. Concernant l’Algérie, cela nécessite la création d’une institution de recherche ou une unité de recherche dans le domaine afin d’entamer la formation des formateurs et, par la suite, son application en respectant la démarche scientifique d’évaluation.
Pourquoi la psychologie de développement dans la formation des enseignants ?
La psychologie a accumulé un savoir considérable dans le domaine de l’éducation, de la formation et des processus d’apprentissage. Mais ce savoir est le plus souvent ignoré par ceux qui président aux destinées de l’enseignement. Il nous semble que l’introduction de la psychologie dans le cursus de formation des enseignants en Algérie est primordiale pour réduire, d’un part, l’échec scolaire, et d’autre part, de réduire les violences inutiles, et enfin de faciliter les apprentissages.
Le constat établi par Jean Piaget, il y a une quarantaine d’années, déplorant « l’ignorance dans laquelle nous sommes restés quant aux résultats des techniques éducatives », demeure toujours d’actualité. Il est, par exemple, des enseignements dénués de toute valeur formatrice que l’on continue d’imposer sans chercher à vérifier s’ils atteignent le but qui leur est dévolu. La question fondamentale, souvent implicite, est celle des objectifs de l’enseignement. S’agit-il d’accumuler des connaissances ou d’apprendre à apprendre ? De répéter le discours magistral ou d’être capable d’innover et d’inventer ? De reproduire ce qui a été enseigné ou de savoir évaluer, contrôler, prouver ? D’apprendre à réciter des leçons ou d’apprendre à vivre ? Une seconde question, une fois ces objectifs fixés, est de savoir encore comment les atteindre. Quels sont les enseignements et les méthodes les plus favorables pour y parvenir ? Les réponses à ces questions ne dépendent pas seulement de choix idéologiques ou de préférences personnelles. Elles impliquent des connaissances précises quant aux processus de socialisation et de fonctionnement mental qui relèvent, entre autres, de la psychologie du développement et de l’apprentissage, de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale. Il existe souvent un décalage très important entre les théories implicites ou explicites qui guident les pratiques pédagogiques et les connaissances apportées par ces disciplines.
Prenons un exemple : celui de l’intelligence. Tout le monde peut s’accorder sur le fait que le développement de l’intelligence est l’un des objectifs majeurs de l’enseignement. Mais sur la compréhension de cette notion, les écarts sont considérables. Il est instructif à ce niveau de confronter deux définitions : celle du dictionnaire Robert et celle d’un dictionnaire de psychologie. Le Robert propose une conception que l’on peut qualifier de traditionnelle : « L’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle » ; alors que le second parle d’une « capacité générale d’adaptation à des situations nouvelles par des procédures cognitives » (Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse). La différence entre ces deux définitions : la première, statique, tend à assimiler intelligence et savoirs conceptuels ; la seconde, dynamique, met l’accent sur le processus d’adaptation de l’homme à son environnement. C’est la conception traditionnelle beaucoup plus que la conception scientifique qui sous-tend l’orientation dominante de l’enseignement aujourd’hui.
Les dernières recherches tendent à remettre en cause l’idée d’une intelligence unique (assimilée aux aptitudes logico-mathématiques et discursives privilégiées par le système scolaire) pour promouvoir l’idée d’une pluralité des formes d’intelligence. Howard Gardner, professeur de neurologie à l’université de Boston, a été amené à distinguer sept formes d’intelligence répondant à des capacités humaines différentes : l’intelligence logico-mathématique (celle qui est traditionnellement mise en relief) correspondant à la résolution de problèmes par une démarche rationnelle ; l’intelligence langagière, elle aussi, largement explorée par la psychologie depuis plus d’un siècle ; l’intelligence spatiale qui renvoie à la capacité à s’orienter dans l’espace (dessin, lecture des cartes, sens de l’orientation, jeu d’échecs…). L’intelligence interpersonnelle qui renvoie à la capacité de comprendre autrui, de communiquer avec lui et de gérer les interactions sociales (capacité très importante dans toute la vie sociale et professionnelle) ; l’intelligence intrapersonnelle qui est l’aptitude à la connaissance introspective de soi ; l’intelligence kinesthésique qui est la capacité à utiliser son corps et à coordonner ses mouvements pour réaliser différentes tâches (activités manuelles, sport, danse, lutte…) ; l’intelligence musicale impliquée dans la perception et la production des sons et de la musique.
Par Yazid HADDARPublié dans Liberté le 01 – 09 – 2015
* Neuropsychologue et formateur à l’IRTS, Lille.